J’ai longuement hésité avant de rédiger cette chronique, qui, je vous avoue
m’a pris plusieurs heures, et finalement j’ai décidé de la mettre en ligne, si
vous allez jusqu’au bout, vous comprendrez pourquoi.
C’est une perle rare, d’une extrême sincérité mais d’une homophobie et panique-gay
dérangeantes, si on met les choses dans leur contexte, on peut éventuellement
comprendre, je n’essaye pas de trouver des excuses, je précise, je le comprends !
Le livre commence par une note de l’éditeur qui nous explique qui est cet auteur.
Tatamkhulu Afrika est né en 1920 en
Egypte, de père égyptien et de mère turque qui immigrent en Afrique du Sud et meurent de la grippe alors que Mohamed, car
tel est son vrai prénom, est encore très jeune. Il est par la suite élevé au
sein d’une famille d'Afrikaners blancs et est rebaptisé John. Envoyé combattre
pour l’Afrique du Sud dans la campagne d’Afrique du Nord durant la seconde
guerre mondiale, il fut capturé à Tobrouk en Lybie, et détenu dans des camps de
prisonniers, en Italie et en Allemagne.
Paradis Amer est son histoire en tant que prisonnier de guerre…
Tom le narrateur, homme marié, reçoit presque soixante ans après la guerre, une lettre d’un
anglais, Danny, qui a partagé ses années de camp avec lui, mais apparemment
Danny est maintenant sur son lit de mort.
Cette lettre le replonge des dizaines d’années en arrière et le conduit à
se souvenir d’une histoire d’amour peu commune, une histoire triangulaire. Tom
se lie d’amitié au début de sa détention avec Douglas, qu’il trouve mou, trop
doux et dont le désir envers lui est à peine déguisé, ce qui le répugne plus qu’il
ne l’attire. Par la suite, il rencontre Danny, bronzé, viril, attirant, un vrai
mâle. Les deux hommes se lient d’amitié rapidement. Une amitié « saine » selon leur
conception, sans arrière-pensée sexuelle.
Le drame central de cette épopée, bien que l’horreur des camps soit
extraordinairement bien écrite et très convaincante, le drame n’est ni la
détention, ni la faim, ni la guerre, mais cette lutte de Tom pour se réconcilier avec son amour et son désir
pour Danny et sa haine pour Douglas, et toute la lutte intérieure de son moi
profond: ce qu’il est et ce qu’il ne veut pas être, et ce qu’il occulte.
La troublante honnêteté de sa propre représentation de la masculinité normative
exige le déni de son homosexualité. Le désaveu est intense et déconcertant,
évidemment, à l’époque la virilité n’était même pas discutable, mais un
traumatisme d’enfance subi également par Danny fort probablement les concilie…
Sa cruauté envers Douglas est embarrassante. Les passages homophobes m’ont
fortement incommodée, cependant, le livre est largement sauvé par la plume de Afrika :
C’est un interminable poème dans les méandres du symbolisme sexuel.
Les
descriptions sont vives et inquiétantes, ce qui est approprié pour le thème de
la détention et des aspirations d'un jeune homme qui a grandi trop vite dans un
environnement déshumanisant. La structure de phrases et le rythme
sont inattendus et nécessitent une attention particulière, une volonté de
ralentir et de revenir en arrière et examiner ce qu’on a lu, ce qui y est
caché, ce qui s’est réellement passé dans les sinuosités des circonvolutions du
phrasé.
Ce n’est pas un roman destiné à servir une allégorie pour les dangers de
sentiments refoulés et l’incarcération, mais un livre insaisissable, écrit par
la plume sage, de quelqu’un qui a beaucoup vécu, mais avec une grande lassitude
d'esprit, un livre qui, même une fois fermé, continue à vous faire réfléchir
aux innombrables significations du mot amour.
Je le conseille donc vivement !
Edition: Presses de la Cité
295 pages
Date de parution: 02 septembre 2015
Edition: Presses de la Cité
295 pages
Date de parution: 02 septembre 2015
Merci Soeurette pour cette belle chronique. Je lirai ce livre !!
RépondreSupprimerMerci pour tes encouragements! tu as le temps, malheureusement l'auteur ne risque pas d'en sortir d'autres, le livre vient de paraître en français, alors qu'Afrika est mort depuis longtemps!
SupprimerTrès belle chronique Leïla, qui donne vraiment envie de lire ce livre, bien qu'il ne soit pas dans la "ligne éditoriale" de mes lectures habituelles. Mais peut-être y ferai-je une entorse... A voir...
RépondreSupprimerMerci beaucoup Vincent!!! un livre très caustique et lyrique (comme ça figure sur la 4ème de couv), on prend le temps de le déchiffrer, on est très loin de la lecture-plaisir récréative, mais plutôt dans le registre lecture incisive! et j'espère que tu le liras, j'aimerai bien échanger avec toi là-dessus!
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