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dimanche 27 septembre 2015

LA DERNIÈRE NUIT DU RAÏS - YASMINA KHADRA


Quand on a déjà lu Khadra, normalement il est inutile de revenir sur  la qualité de sa plume, mais je ne peux pas m’en empêcher, ses talents de conteur sont condensés dans ce dernier ouvrage.

On oscille entre haine, pitié et dégoût. L’utilisation du « je » est tellement singulière, quand on connait l’auteur  (je ne prétends pas le connaitre vraiment mais j’ai eu le plaisir d’échanger avec lui à plusieurs reprises sur des salons), il est d’une grande élégance, et à le voir utiliser le « je », entrer dans la peau du Raïs, j’avoue que dès la première page, je me suis posée la question : Khadra est aux antipodes de ce qu’était Mouammar, va-t-il pouvoir entrer dans le personnage ? Il n’y est pas entré, il l’a vécu, vêtu, revêtu, il fait de cette mégalomanie, de cette violence, de cet être exécrable, un page-turner.  

L’incongruité de la situation est vite balayée, son style percutant, épuré,  la description intense vous plongent dans le personnage. Un pari résolument réussi.

On connait tous son issue fatale, on croit le connaitre, en revanche, on découvre ou redécouvre la face cachée. Mouammar Kadhafi est bien ce tyran sanguinaire mais on est brimbalé entre le visionnaire tyrannique et le bédouin indomptable, entre ce cruel tortionnaire et cet être en mal d’amour, mutilé par l’absence du père, cette incommensurable envie d’être aimé, adulé. « Ce peuple m’a-t-il sincèrement aimé ou n’a-t-il été qu’un miroir qui me renvoyait mon narcissisme démesuré ? »

Une envie déraisonnable, mais à la hauteur de l’amour qu’il porte à sa patrie, ce Guide comme il aime être appelé, adore avant tout sa Lybie, il renverse la monarchie dans un but : faire de la Lybie une grande nation. « Je n’ai ménagé aucun effort pour qu’en Libye les joies, les fêtes et les espérances cadencent le pouls de mon peuple, pour que l’ange et le soleil soient indissociables du rire d’un marmot. » « Bâtard ou orphelin, je m’étais substitué au destin d’une nation en devenant sa légitimité, son identité. Pour avoir donné naissance à une nouvelle réalité, je n’avais plus rien à envier aux dieux des mythologies ni aux héros de l’Histoire. J’étais digne de n’être que Moi »

Il est présenté comme un fervent musulman, et croit en la bénédiction de Dieu. Là-dessus il n’a aucun doute. Mais la cruauté de ses actes est annihilée par sa baraka. Il ne voit pas le mal, il n’a pas lieu d’être, il est le Guide, le sauveur« Je n’ai ni fauté ni failli. La furie qui s’enfielle dans la rue est une dégénérescence, une infamie, un sacrilège. Une effarante ingratitude. Je ne suis pas un dictateur. Je suis un vigile implacable. »

Sa tyrannie engendre la peur, il assoit son pouvoir sur cette peur, elle est palpable tout le long. « Je ne tolère pas que l’on discute mes ordres, que l’on remette en question mes jugements […] qui ne m’écoute pas est sourd, qui doute de moi est un damné. Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite »

Quelques échanges intéressants avec des homologues déchus pimentent ces pages, en l’occurrence Saddam et Benali, mais je tiens surtout à attirer l’attention du lecteur, de bien s’imprégner des passages sur Van Gogh, la chute est juste sublime.

Cette dernière nuit du Raïs aurait pu s’appeler « tuer le père… » Ce qui me fait penser à une citation d’Hérodote : en temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères ; en temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils. Pourvu qu’il ait eu raison…

Je terminerai ce billet par une phrase, phrase qui en dit long sur Kadhafi : «  Le syndrome de Stockholm est l’unique recette qui marche avec les nations fourbes ».


Editions Julliard
207 pages
Date de parution: 19 août 2015


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