RENCONTRES...

jeudi 5 octobre 2017

SEXE ET MENSONGES & PAROLES D'HONNEUR (BD) - LEILA SLIMANI


Comment appréhender ces deux ouvrages, que cela soit l’essai ou la BD sans que pour autant sa propre culture ne déteigne et ne louvoie la perception du message premier?
Si vous êtes marocain et que vous comptez lire l’une de ces deux publications, j’espère que vous pourrez vous libérer du carcan culturel, et que vous saurez les savourer à leur juste valeur.

Je présume que le but étant de toucher un large lectorat, la BD est ostensiblement la retranscription graphique des témoignages rendus dans le livre.

Avec  Sexe et Mensonges, la vie sexuelle au Maroc, Leila Slimani nous livre des confessions empreintes de sincérité, puisées auprès de jeunes marocain-e-s de différents horizons. Le tout ponctué d’entretiens avec des personnalités qui se sont penchées sur la question et qui en ont fait écho sur différents médias.

Il faut mesurer à quel point les femmes qui témoignent dans ce livre sont courageuses et à quel point il est difficile, dans un pays comme le Maroc, de sortir du cadre, d’adopter un comportement considéré comme marginal. La société marocaine est toute entière basée sur la notion de dépendance au groupe. Et le groupe est perçu par l’individu à la fois comme une fatalité, dont il ne peut se départir, et comme une chance, puisqu’il peut toujours compter sur une forme de solidarité grégaire.  La relation au groupe est donc profondément ambiguë. Autre pilier de la société marocaine : le concept de h’chouma, que l’on peut traduire par la « honte » ou la « gêne » et qui est inculqué à chacun dès l’enfance. Dans cette société, l’honneur passe avant tout. Ce n’est pas tant la vie sexuelle des gens que l’on juge mais la publicité qu’ils en font ou osent en faire. Mais cette injonction au silence n’est plus suffisante pour maintenir la paix sociale et permettre l’épanouissement de chacun. Notre société est rongée par le poison et l’hypocrisie et par une culture institutionnalisée du mensonge.
Au Maroc, la consigne inculquée à tous est la protection de l’image vertueuse et totalement irréaliste de la femme marocaine.
A cause de la h’chouma on ne parle jamais de la pédophilie, de l’inceste, des viols, de la prostitution des mineurs. Il faudrait qu’on puisse parler de tout pour s’attaquer à ces problèmes. Au Maroc quand on vous montre votre reflet, vous cassez le miroir.
Pour Malika, 40 ans célibataire, ayant un métier valorisé. « Les hommes se sentent écrasés par ce que je représente, qui est à l’opposé de l’image classique de la femme marocaine, soumise et maternelle. Chez les hommes, il y a un hiatus entre le fait d’être libéré dans l’acte sexuel et dans la tête. La plupart ne le sont que le temps de l’acte. Dans leur tête, ils sont dans le jugement.
Aujourd’hui 25% des foyers sont soutenus par une femme seule. 51% des bacheliers sont des jeunes filles, et 7 des 10 meilleures notes au bac ont été obtenues par des demoiselles. La société a radicalement changé, la place des femmes n’est plus du tout la même, mais leurs droits n’ont pas été réévalués à la hauteur de ces changements. »

Quand Leila se penche sur l’empreinte religieuse sur le sujet. Elle estime que tout laisse à penser que l’islam est une religion qui n’approuve qu’une seule forme de sexualité : la sexualité conjugale et donc hétérosexuelle. Les sociétés musulmanes sont construites autour de tabous qui sont la fornication, l’homosexualité, la maternité célibataire, l’avortement et la prostitution. Ce système continue de tenir grâce à une culture du silence, voire de l’omerta, prêchée par les religieux, confirmée par la loi et imposée par la convention sociale.
Trop souvent, le débat se réduit à montrer chaque camp du doigt et à caricaturer. Les conservateurs parlent avec beaucoup de mépris de ce qu’ils appellent les « courants laïques », les modernistes qui revendiquent le progrès.
D’après Sana El Aji, au Maroc nous avons dépassé le tabou de la politique. On peut parler de presque tout ce qu’on veut. Les deux nouveaux tabous sont la religion et la sexualité. Cela hystérise les gens.
Pour beaucoup d’hommes (et de femmes parfois aussi), il n’y a pas  d’intermédiaires entre la femme vertueuse et la prostituée. Ils ont une vision extrêmement manichéenne des femmes.
  
Je suis Leila Slimani depuis ses débuts, vous trouverez ici, la chronique du Jardin de l’Ogre et ici celle de Chanson Douce.


Avec cet essai elle confirme son talent, et aussi son engagement mais surtout son audace de traiter des sujets tabous. Je conclurai ce billet par cette phrase que j’ai trouvée d’une très grande justesse : « Aujourd’hui, je pense que seule importe la légitimité de ce que je défens. Je m’appuie sur des valeurs universelles et je réfute absolument l’idée que l’identité, la religion ou quelque héritage historique que ce soit dépossède des individus de droits qui sont universels et indéniables. »

lundi 18 septembre 2017

VOUS CONNAISSEZ PEUT-ETRE - JOANN SFAR


Quand vous ouvrez votre session Facebook, vous voyez sur la droite de votre écran la mention : « Vous connaissez peut-être ? » Si la réponse est oui, vous pouvez éventuellement cliquer, si la réponse est non, lisez le livre de Joan Sfar, et on en discute après !

« Au début il y a cette fille, Lili rencontrée sur Facebook. On clique sur la photo du profil et un jour on se retrouve chez les flics. J’ai aussi pris un chien, et j’essaie de lui apprendre à ne pas tuer mes chats. Tant que je n’aurais pas résolu le problème du chien et le mystère de la fille, je ne tournerai pas rond.
Ça va durer 6 mois.
C’est une histoire vraie. Tout est vrai sinon ce n’est pas drôle»

Donc tout s’est passé à peu près en même temps. Après une rupture, l’auteur cherchait à se réfugier. Il disposait de deux terrains de jeu, l’univers sensible et le monde imaginaire. Son imaginaire été squatté par Lili et son quotidien dévoré par son chien.

Revenons au chien, ce bull-terrier Marvin qui accapare les 77 premières pages, on se demande où l’auteur veut en venir. Soyons honnêtes, quand on lit ce bouquin, c’est aussi pour satisfaire une part de scopophilie inavouée, on est là pour Lili, on n’est pas là pour lire les déboires de l’auteur qui n’arrive pas à éduquer son chien, mais il nous donne de lui-même la réponse :
« Pourquoi tant de pages avant de trouver le courage de raconter cette histoire ? Parce qu'elle fait autant honte que les confessions d'un type ruiné par une secte Krishna Jihad et qui se réveille en se demandant comment il a pu marcher dans de telles conneries. Lili, c'est le procès de la croyance, cette vieille peluche. »

Provoc et extravagant, par moments l’auteur en fait un peu trop, peut-être autant que son chien fou-fou. On se perd dans les méandres de l’éducation canine, celle de ses enfants, son atelier, ses histoires « galantes », ses dialogues crus, une familiarité surjouée, les juifs, les palestiniens…mais la toile de fond reste Marvin et Lili, et quand on retrouve la partie qui nous intéresse, on s’y accroche.
Un bon élagage n’aurait pas fait de mal, ses tentatives philosophiques sont un peu empruntées  mais l’humour de l’auteur et son autodérision font que vous gardez le livre en main. Et puis surtout vous voulez savoir jusqu’où il a bien voulu croire en cette Lili…
« Jure-moi que tu écriras notre histoire », voilà Lili, il l’a fait !



Edition : ALBIN MICHEL,
272 pages
Date de Parution : 23 août 2017