Comment
appréhender ces deux ouvrages, que cela soit l’essai ou la BD sans que pour
autant sa propre culture ne déteigne et ne louvoie la perception du message
premier?
Si vous êtes
marocain et que vous comptez lire l’une de ces deux publications, j’espère que
vous pourrez vous libérer du carcan culturel, et que vous saurez les savourer à
leur juste valeur.
Je présume que le but étant de toucher un large lectorat, la BD est ostensiblement la retranscription graphique des témoignages rendus dans le livre.
Avec Sexe et Mensonges, la vie sexuelle au Maroc,
Leila Slimani nous livre des confessions empreintes de sincérité, puisées
auprès de jeunes marocain-e-s de différents horizons. Le tout ponctué d’entretiens
avec des personnalités qui se sont penchées sur la question et qui en ont fait
écho sur différents médias.
Il
faut mesurer à quel point les femmes qui témoignent dans ce livre sont
courageuses et à quel point il est difficile, dans un pays comme le Maroc, de
sortir du cadre, d’adopter un comportement considéré comme marginal. La société
marocaine est toute entière basée sur la notion de dépendance au groupe. Et le
groupe est perçu par l’individu à la fois comme une fatalité, dont il ne peut
se départir, et comme une chance, puisqu’il peut toujours compter sur une forme
de solidarité grégaire. La relation au
groupe est donc profondément ambiguë. Autre pilier de la société
marocaine : le concept de h’chouma, que l’on peut traduire par la
« honte » ou la « gêne » et qui est inculqué à chacun dès
l’enfance. Dans cette société, l’honneur passe avant tout. Ce n’est pas tant la
vie sexuelle des gens que l’on juge mais la publicité qu’ils en font ou osent
en faire. Mais cette injonction au silence n’est plus suffisante pour maintenir
la paix sociale et permettre l’épanouissement de chacun. Notre société est
rongée par le poison et l’hypocrisie et par une culture institutionnalisée du
mensonge.
Au Maroc, la
consigne inculquée à tous est la protection de l’image vertueuse et totalement
irréaliste de la femme marocaine.
A cause de la
h’chouma on ne parle jamais de la pédophilie, de l’inceste, des viols, de la
prostitution des mineurs. Il faudrait qu’on puisse parler de tout pour
s’attaquer à ces problèmes. Au Maroc quand on vous montre votre reflet,
vous cassez le miroir.
Pour Malika, 40
ans célibataire, ayant un métier valorisé. « Les
hommes se sentent écrasés par ce que je représente, qui est à l’opposé de
l’image classique de la femme marocaine, soumise et maternelle. Chez les
hommes, il y a un hiatus entre le fait d’être libéré dans l’acte sexuel et dans
la tête. La plupart ne le sont que le temps de l’acte. Dans leur tête, ils sont
dans le jugement.
Aujourd’hui
25% des foyers sont soutenus par une femme seule. 51% des bacheliers sont des
jeunes filles, et 7 des 10 meilleures notes au bac ont été obtenues par des
demoiselles. La société a radicalement changé, la place des femmes n’est plus
du tout la même, mais leurs droits n’ont pas été réévalués à la hauteur de ces
changements. »
Quand Leila se
penche sur l’empreinte religieuse sur le sujet. Elle estime que tout laisse à
penser que l’islam est une religion qui n’approuve qu’une seule forme de
sexualité : la sexualité conjugale et donc hétérosexuelle. Les sociétés
musulmanes sont construites autour de tabous qui sont la fornication,
l’homosexualité, la maternité célibataire, l’avortement et la prostitution. Ce
système continue de tenir grâce à une culture du silence, voire de l’omerta,
prêchée par les religieux, confirmée par la loi et imposée par la convention
sociale.
Trop souvent,
le débat se réduit à montrer chaque camp du doigt et à caricaturer. Les
conservateurs parlent avec beaucoup de mépris de ce qu’ils appellent les
« courants laïques », les modernistes qui revendiquent le progrès.
D’après Sana El
Aji, au Maroc nous avons dépassé le tabou
de la politique. On peut parler de presque tout ce qu’on veut. Les deux
nouveaux tabous sont la religion et la sexualité. Cela hystérise les gens.
Pour
beaucoup d’hommes (et de femmes parfois aussi), il n’y a pas d’intermédiaires entre la femme vertueuse et
la prostituée. Ils ont une vision extrêmement manichéenne des femmes.
Je suis Leila
Slimani depuis ses débuts, vous trouverez ici, la chronique du Jardin de l’Ogre
et ici celle de Chanson Douce.
Avec cet essai
elle confirme son talent, et aussi son engagement mais surtout son audace
de traiter des sujets tabous. Je conclurai ce billet par cette phrase que
j’ai trouvée d’une très grande justesse : « Aujourd’hui, je pense que
seule importe la légitimité de ce que je défens. Je m’appuie sur des valeurs
universelles et je réfute absolument l’idée que l’identité, la religion ou
quelque héritage historique que ce soit dépossède des individus de droits qui
sont universels et indéniables. »