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dimanche 28 février 2016

LE MARIAGE DE PLAISIR - TAHAR BEN JELLOUN


L’esclavage n’a été aboli qu’en 1922 au Maroc, autant dire, que nos grands-parents s’en souviennent. Qu’en est –il advenu de ces anciens esclaves, ont-ils été affranchis ? Certains d’entre eux oui, mais pas tous.  Avant tout pour des questions de coutumes et, bizarrement aussi, parce que les esclaves (ou du moins ceux qui étaient nés ainsi) avaient tellement intégrés leur statut, qu’ils pouvaient avoir du mal à envisager leur autonomie…

Cette petite introduction est là pour poser le décor dans lequel  évolue « le mariage de plaisir » dernier-né du grand Tahar Ben Jelloun.

Il n’est nulle question d’esclavage,  le livre nous conte l’épopée familiale d’une famille fassie (de Fès) du milieu des années 50 (juste avant la fin du protectorat) à nos jours.  Mais dans l’esprit de tous, à l’époque, un noir, ne peut être qu’un esclave. 
Amir commerçant prospère, marié à Fatma.  Leur mariage était-il heureux ? On ne se posait pas la question. Elle lui a donné des enfants. Les apparences étaient sauves. Dans cette ville de Fès, renfermée sur elle-même, creuset de la civilisation arabo-andalouse, on ne plaisantait pas avec les convenances.

Dans l’islam, il est permis à un homme qui part en voyage de contracter un mariage à durée déterminée, « mariage de plaisir - زواج المتعة ». C’est dans ces conditions qu’Amir, a pour habitude d'épouser temporairement Nabou, une magnifique Peule de Dakar, où il part s’approvisionner.

Amir accompagné de son fils Karim, simple d’esprit, mais un personnage attachant et lumineux, entame un ultime voyage à Dakar.  Les choses se corsent quand l’amour fait des siennes, Amir tombe éperdument amoureux de Nabou, cette femme libre en matière d’amour, que le poids de la religion ne bloque pas. Il la ramène à Fès en tant que seconde épouse. 
Deux grandes portes s’ouvrent grand : celle de la jalousie (que l’on comprend) et celle du racisme. Dans un pays où le noir est perçu comme le décrit Fatma : « Jamais, jamais de la vie je ne supporterai d’avoir été supplantée par une Négresse, une étrangère sale et qui ne sait même pas parler. Elle a ensorcelé mon mari elle lui a jeté un sort et moi aussi je suis sa victime. Ce sont des gens sauvages qui nous détestent parce que Dieu nous a faits blancs et propres et eux sont des déchets de l’humanité ».  
Une preuve éclatante d’un racisme presque inconscient qui n’offusquait personne à part ses victimes. Mais personne ne bougeait, personne ne réagissait dans un Maroc encore sous protectorat, à la veille de l’indépendance.

Le temps ne fait pas toujours oublier les douleurs, mais il coule… Nabou met au monde des jumeaux, Hassan et Houcine, l’un blanc, l’autre noir.  La seconde partie du livre y est consacrée. Devenus adultes, ils ont suivi des chemins différents, le blanc est intégré, le noir Hassan défaitiste, vit beaucoup moins bien sa condition et ne parvient pas à offrir à son fils Salim, noir également, de meilleurs horizons. 
Salim le rebelle, se retrouve arrêté dans une rafle avec d’autres subsahariens et est renvoyé au Sénégal….
Je n’en dévoile pas plus.

A la manière d’un conte, Tahar Ben Jelloun, nous  dépeint un  racisme ordinaire qu’on tait, et les humiliations subies, dans la société marocaine de ces 60 dernières années. Il nous parle aussi  de deux  tabous que sont la sexualité  et l’amour dans une société fassie conservatrice,  du courage qu’il faut pour affronter le regard des autres. Un livre choc, violent,  cette détresse surgie d’une double identité, quand votre destin est esquissé par la couleur de votre peau, et qui amène à une  envie viscérale de retrouver ses racines.
Un magnifique roman

Editions Gallimard
Date de parution : 11 février 2016

260 Pages





Tahar Ben Jelloun est un écrivain et poète marocain de langue française, né le 1er décembre 1944 à Fès (Maroc).




Après avoir fréquenté une école primaire bilingue arabo-francophone, il étudie au lycée français de Tanger jusqu'à l'âge de dix-huit ans, puis fait des études de philosophie à l'université Mohammed V de Rabat, où il écrit ses premiers poèmes — recueillis dans Hommes sous linceul de silence (1971). Il enseigne ensuite la philosophie au Maroc. Mais, en 1971, à la suite de l'arabisation de l'enseignement de la philosophie, il doit partir pour la France, n'étant pas formé pour la pédagogie en arabe. Il s'installe à Paris pour poursuivre ses études de psychologie.

À partir de 1972, il écrit de nombreux articles pour le quotidien Le Monde. En 1975, il obtient un doctorat de psychiatrie sociale. Son écriture profitera d'ailleurs de son expérience de psychothérapeute (La Réclusion solitaire, 1976). En 1985, il publie le roman L'Enfant de sable qui le rend célèbre. Il obtient le prix Goncourt en 1987 pour La Nuit sacrée, une suite à L'Enfant de sable. Il participe en octobre 2013 à un colloque retentissant au Sénat de Paris sur l'islam des Lumières avec Malek Chebel, Reza, Olivier Weber, Abdelkader Djemaï, Gilles Kepel et Barmak Akram.


Tahar Ben Jelloun vit actuellement à Tanger avec sa femme et ses enfants (Merième, Ismane, Yanis et Amine), pour qui il a écrit plusieurs ouvrages pédagogiques (Le Racisme expliqué à ma fille, 1998). 

8 commentaires:

  1. Belle chronique Soeurette ! très tenté, merci !

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    1. Merci! très beau livre! Fonce! Mais bon c'est du Ben Jelloun quand même :)

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  2. Si je ne l'avais pas déjà lu votre belle chronique m'aurait donné l'envie de me dévoré bravo

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    1. Merci beaucoup Soumya!! Ravie d'avoir pu transmettre le ressenti comme il le fallait! vraiment très touchée! merci encore!

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  3. Je ne suis pas une fan de Tahar Benjelloun mais ta chronique me donne envie de le lire.Thanks for sharing.

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    1. Merci de ton retour Najat ! ça me fait très plaisir de te re-"voir" lire l'une de mes copies teacher :) Au plaisir d'en rediscuter avec toi après lecture! bises

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  4. exactement, j'ai eu des expériences diverses avec cet auteur, mais d'accord, je replonge ! bravo

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    1. Martine, toi qui es une excellente conteuse, le mariage de plaisir est un très joli conte, poignant mais aussi plein d'humanité et de sensualité, et révélateur de pratiques ancestrales (in)avouables! ça n'engage que moi (une fois de plus) mais j'ai vraiment accroché! bonne lecture alors!

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